Bertrand Hugues est un artiste qui se sert de la photographie, à un moment précis de son travail, non comme une fin en soi mais tel un moyen, participant avec d’autres, à une interrogation en actes sur ce que voir veut dire. Déjouant les lois de la Nature, l’artiste s’amuse aussi de celle de la photographie, qu’il pratique non pas afin de faire des images mais, tout au contraire, pour travailler contre elles. Ainsi, ce qu’il accomplit dans son atelier, au moyen de sa chambre photographique, à partir des Hybrides qu’il y a engendrés, vient méthodiquement mettre à mal les modalités communes de notre vision.
Cela pourrait s’arrêter là, mais la jubilation de l’expérience ne serait pas complète, pour cet inventeur de formes, s’il ne se livrait pas à une dernière pratique, sur un mode délibérément indirect : le passage des Ektas, faits dans son atelier, aux tirages, confiés à l’Atelier Fresson, héritier du procédé du même nom. Inventé à la toute fin du XIXe siècle, ce tirage au papier charbon, qui a été perfectionné dans les années 1950 pour aller des tirages monochromes vers des tirages quadrichromes, offre à Bertrand Hugues deux possibilités nouvelles, qui contribuent à mener son travail vers sa forme définitive.
(..)Fraîcheur du sec, quel meilleur oxymore pourrait dépeindre ce que nous voyons là : cette façon, selon le mot de Baudelaire, de « surpasser la nature » afin de conférer au vif une forme, délibérément artificielle, d’éternité ? On comprend aussi, dès lors, pourquoi Bertrand Hugues ne conserve pas ses créations hybrides auxquelles il préfère ces ultimes tirages délégués, qui sont le lieu véritable où se préserve tout son art : cette expérience vécue, à jamais suspendue dans le temps.
Pierre Wat (extrait du texte « seconde nature » 2020)
Artiste représenté par la galerie Éric Mouchet